fsfe-france
[Top][All Lists]
Advanced

[Date Prev][Date Next][Thread Prev][Thread Next][Date Index][Thread Index]

Re: [Fsfe-france] IBM countersuit SCO


From: Ludovic Pénet
Subject: Re: [Fsfe-france] IBM countersuit SCO
Date: 09 Aug 2003 18:18:50 +0200

Le sam 09/08/2003 à 11:22, BREESE MAJEROWICZ : Pierre Breese a écrit :
> Tout cela montre deux choses :
> 1 - Comme je l'ai toujours soutenu et écrit, les brevets et le logiciels
> libres ne sont pas antinomiques : des innovations brevetées peuvent être
> exploitées selon le modèle économique du "logiciel libre", et le brevet peut
> même conforter le respect de ce modèle, comme l'illustre l'action engagée
> par IBM.  De la même façon, dans le domaine du médicament, le brevet n'est
> pas antinomique avec le développement des génériques.
La possession de missiles et d'armes chimiques par une société lui
permettrait de se défendre d'une attaque à son encontre en bombardant
ses adversaires. Les gaz auraient peut-être tendance à tuer des gens
extérieurs au problème, mais bon, l'économie est la chose importante,
notre raison de vivre, et la fin justifie les moyens. De même,
l'enlèvement de personnes du camp d'en face, le recours à la torture,
sont des alternatives.

Bref, toute réaction n'est pas justifiée par ce qui l'a causée.

De plus, au regard de la posture réservée des "gens du libre" ces
dernières années (pour ne donner qu'un exemple, IBM n'est pas admis aux
"rencontres mondiales" du fait de son recours aux brevets), tenter de
faire l'amalgame est assez hardi....

> 2 - Il est à mon sens dangereux de présenter de façon manichéenne les deux
> modèles d'exploitation commerciale de logiciels, l'un correspondant au
> modèle industriel "classique" s'appuyant parfois - mais pas nécessairement -
> sur des innovations brevetées, l'autre correspondant à un modèle qualifié de
> libre.
> 
> Je ne conteste pas les imperfections du premier, et je sais que d'autres
> participants de cette liste le feront avec beaucoup de virulence.
> 
> Je pense donc plus utile que j'apporte la contradiction à une présentation
> par trop idyllique du modèle libre.
> 
>  Ce modèle économique n'est pas très éloigné de pratiques de dumping, ce qui
> est possible grâce à la contribution technique d'une communauté un peu
> fanatisée (pardonnez moi l'expression). Un dirigeant de MandrakeSoft ne s'en
> est pas caché en expliquant lors de l'introduction en bourse de sa société
> que ses logiciels pouvaient être distribués à des prix inhabituellement
> faible "grâce à la contribution d'un grand nombre de développeurs
> bénévoles".
> 
> Aujourd'hui, on voit que les sociétés qui se proclament de ce modèle dit
> "libre" se comportent comme n'importe quelle société commerciale : elles
> sont cotés en bourse, détenus par des fonds de pensions de retraités
> californiens, se font des "coups tordus" qui sont d'autant plus choquant
> qu'elles professent par ailleurs un discours "de partage et de libéralisme"
> !
> 
> Les deux modèles ont leurs vertus et leurs défauts, vouloir imposer l'un
> pour faire disparaître l'autre serait une grave erreur.
Je suis d'accord avec vous sur cette dernière phrase, et uniquement sur
cette dernière. Je n'ai jamais vu le logiciel propriétaire comme "le
démon"; j'en ai développé pendant quelques temps et j'en développerai
probablement encore dans le futur, lorsque les circonstances s'y
prêteront. Je vous fais également remarquer que je vis en bonne harmonie
avec un nombre conséquent de gens du libre; ils ne sont donc peut-être
pas aussi sectaires que vous l'insinuez!

L'erreur est, je pense, d'opposer libre et propriétaire. Les deux vivent
l'un de l'autre, s'inspirent et se nourrissent mutuellement. Cela tient
au caractère spécifique du processus de création de l'information dont
la matière première et le produit son identiques: l'information, la
connaissance. Ainsi, il arrive à des gens du libre de s'inspirer d'un
produit propriétaire existant - comme c'est le cas pour le client de
messagerie que j'utilise, évolution -, tout comme il arrive aux gens du
propriétaire de s'inspirer ou d'intégrer un produit libre, comme cela a
été le cas pour les couches TCP de FreeBSD, intégrées à Windows par
Microsoft.
Dans les deux cas, tous bénéficient de la disponibilité dans le "domaine
public" d'information de qualité, sur lesquels ils capitalisent pour
produire le N+1, pour produire de la valeur ajoutée.
Différentes logiques de création existent et sont plus ou moins
affectées par la réduction du domaine public. Les sociétés privatisant
l'information et tirant un bénéfice direct de sa production, comme
Disney ou Microsoft, sont les moins affectées sur un plan strictement
économique par la réduction du domaine public. Elles sont par contre
affectées dans la qualité et la diversité de leurs produits: ainsi,
Disney ne produira pas un dessin animé réunissant Bugs Bunny et Mickey,
du moins pas à un coût raisonnablet et dans la configuration actuelle.
Ainsi, Microsoft ne peut bâtir que sur ce qu'elle possède déjà, puisque
c'est ce qui lui coûte le moins cher.
D'autre rapports à l'information existent bien évidemment. Pour prendre
un opposé, on peut citer le professeur d'université publiant toutes ses
recherches et tirant son revenu et son crédit de son expertise. On peut
également citer les avocats qui tirent partie de leur connaissance du
droit. Le libre procède de cette même logique: chacun apporte une pierre
à l'édifice et tire un bénéfice indirect de son édification. Pour citer
un exemple précis: il y a 2 ans, alors que je travaillais pour une
petite société faisant à la fois du service et de l'édition propriétaire
d'une solution de communication massive et personnalisée, nous avons
trouvé un bogue dans une librairie de la fondation Apache utilisée par
le produit. Cela a été l'occasion de produire un correctif, soumis à
l'équipe de développement puis intégré. Nous avons donc à cette occasion
contribué à notre tour, modestement, au développement d'un de ces
produits libres grâce auxquels nous avions pu entrer à moindre coût sur
le marché. Bref, il n'y a pas dumping, il y a utilisation et
enrichissement du bien commun. Le bien commun n'est pas alimenté
uniquement par des logiques marchandes; d'autres producteurs
d'information, bénévoles, militants, existent. Le monde n'est pas une
place de marché et, comme l'a écrit Michel Rocard, tout le monde se
copie et c'est très bien ainsi.

À ce sujet, j'ai adoré le papier de Yochai Benkler
(http://www.law.nyu.edu/benklery/) sur "La propriété intellectuelle et
l'organisation de la production"
(http://www.law.nyu.edu/benklery/IP&Organization.pdf). Je partage
pleinement sa conclusion sur les conséquences de toute augmentation de
la propriété intellectuelle: concentration, uniformisation,
ralentissement de l'innovation. Je partage également pleinement sa
conclusion quant au caractère *politique* de ces conséquences.
L'information et les outils permettant de la produire et de la manipuler
ne sont pas des biens neutres; un changement important les concernant a
des conséquences importantes pour la démocratie.

Ludovic Pénet





reply via email to

[Prev in Thread] Current Thread [Next in Thread]